Loraine - Ma leçon
Je vis dans un quartier assez huppé de la ville. Les maisons aux grands aux portails barbelés et surveillés par une ribambelle de sentinelles côtoient des petites maisons de briques. Nous avons la chance d’avoir dans le cercle d’amis du couvent, des paroissiens fortunés, mais qui n’oublient pas leur origine ainsi que les difficultés de la majorité de la population. Ceux-ci participent à certains frais du couvent ou nous invitent régulièrement à manger chez eux. Justement un soir, la sœur Giselle et moi avons été invitées par une de ces amies, elle occupe un haut poste dans une banque. Lorsque nous arrivons chez elle, nous découvrons que nous ne sommes pas seules et que d’autres invités sont là. Ceux-ci sont des personnes très influentes à Matadi. Nous passons un bon moment devant une table dressée par de nombreux plats succulents. Dans le quartier, une coupure d’électricité sévie cependant nous ne l’apercevons pas, car la maison est dotée d’un groupe électrogène. La climatisation fait des siennes et nous souffrons quelque peu de la chaleur. La discussion s’oriente rapidement sur le climat de la ville et la nécessité ou pour certain l’obligation d’avoir une climatisation pour dormir ou travailler. Un invité se tourne vers moi, pour s’intéresser à ma résistance à la chaleur. De grands yeux s’ouvrent, quand je leur explique que je n’ai pas de climatiseur et que cela ne me dérange pas. Les discussions s’enchaînent et je m’aperçois que ces personnes aiment leur pays et veulent le voir prospérer. Ils m’expliquent que leurs enfants ont fait leur étude à l’étranger. Ils m’exposent leur désir que ceux-ci reviennent au pays pour que leurs savoirs soient utiles à la RDC. Que le pays se développe grâce aux Congolais et pour les Congolais. Sur ce point, je partage entièrement leur avis. La soirée se termine avec la climatisation, car entre temps, on a appelé un mécanicien de la banque en urgence pour la réparer.
Nous rentrons dans le noir, car au couvent il n’y a pas de groupe électrogène et de plus l’eau nous fait également défaut. Le lendemain, je me rends au travail, les enfants comme chaque matin depuis maintenant un mois ne me font pas regretter mon séjour dans le pays. Les cours terminés, je fais la causette comme d’habitude, cependant aujourd’hui je sens que ce ne sont pas les malades qui ont besoin d’une oreille attentive, mais bien les travailleurs. L’humeur générale est maussade et tendue. La fin du mois a fait ses dégâts, le loyer, les frais scolaires des enfants, les transports à payer et sans oublier toute la famille à nourrir. Vous allez me dire comme chez nous… Ben non, car après un mois de travail du lundi au samedi, on attend toujours son salaire. Comment fait-on quand il ne vient pas et qu’il n’a pas été donné depuis cinq mois consécutifs. Le problème c’est qu’il n’y a pas le choix, ils viennent encore tous les jours dans l’espoir d’enfin recevoir leurs dus. On ne dit rien par peur qu’on nous montre la porte, car c’est toujours mieux d’avoir un travail même pour l’instant sans salaire que de ne pas en avoir.
La discussion nous a occupés plus de deux heures après la fermeture du centre. Malgré tout ce temps à les écouter, je ne suis pas arrivée à me mettre à leur place, à être empathique. Même si cela fait maintenant quatre mois que je suis ici, que les réalités et la vie du pays ne met plus inconnue, que j’ai pu expérimenter certaines situations, je n’en suis pas capable. Par chance, je suis née dans une famille dans laquelle à la fin mois, nous n’avons pas l’estomac vide ou la crainte de ne pas pouvoir payer les factures. Je n’ai jamais manqué de rien. Je ne dis pas que leur situation ne me touche pas, car ce n’est pas vrai. Je me sens dépassée et ce n’est pas facile à le dire, mais tout ceci est hors de la réalité de ma vie. Je ne peux pas dire que la réalité de la veille ou celle du jour est la mienne… Je suis ici temporairement, je ne vis pas dans le luxe ni dans la pauvreté dans une sorte de milieu où peu de Congolais y sont, malheureusement les opposés sont plus fréquents, alors je ne peux être qu’observatrice et témoin.
C’est certain que le contraste entre les deux situations est choquant. Cette différence de vie au sein du même pays, de la même ville, du même quartier n’est pas qualifiable. Et il faut l’accepter, car ce n’est pas moi qui pourrai changer quelques choses… J’ai réfléchi à ma vie en Suisse, après un moment, je me dis stop. Attends Loraine que fais-tu ? L’environnement, les circonstances, les composantes sont totalement différents, la comparaison est impossible… Par contre, ce que je peux en retenir c’est de ne pas oublier de se questionner sur ce qu’on croit être l’indispensable. Réaliser, de temps en temps, la chance que m’offre ma vie et de ne pas oublier ceux qui n’ont pas cette chance.